La légende familiale veut qu’un soir j’aie déclaré à ma mère:
“Je sais lire.” Et de lui lire immédiatement une page d’un de mes livres d’enfant.
A quoi ma mère m’aurait répondu qu’étant un peu petite et n’ayant jamais appris, j’avais sans doute mémorisé l’histoire qu’elle m’avait lu moultes fois.
A quoi je me serais quelque peu vexée…
A quoi ma chère et patiente maman aurait sorti du haut de la bibliothèque, rangé loin de mes petites mains curieuses, un roman d’Agatha Christie.
Me l’aurait tendu.
Pour me voir ouvrir ledit roman et commencer à lire, du haut de mes trois ans et demi. Pour ne plus m’arrêter.
Je me souviens que, le premier jour de mon entrée au CP, l’institutrice nous a remis notre livre de lecture: Tistou les pouces verts, par Maurice Druon.
Je me souviens que, le soir de la rentrée, j’avais terminé mon livre, blottie sur le canapé du salon.
Je me souviens qu’en CM2 (cinquième et dernière primaire pour les Belges et Luxembourgeois de mon lectorat), le professeur avait demandé à ce qu’on tienne une liste de nos lectures. Et qu’au bout d’un trimestre, il m’avait (gentiment) dit de ne pas mentir quant aux livres réellement lus.
Ce que j’avais assez mal pris, à vrai dire, car j’avais omis dans ma liste tous les livres que je relisais… enlevant donc des lectures au lieu d’en rajouter.
Je me souviens que dans une rédaction, l’institutrice avait corrigé mon “vil tricheur” pour le changer en “vilain tricheur” alors que j’avais utilisé le mot à dessein et en en connaissant le sens grâce à ma chère Comtesse de Ségur.
Je me souviens que ma cousine me surnommait “la liseuse”, et que la légende familiale (bis) voulait qu’en m’asseyant à huit heures du matin avec une pile de livres à ma gauche, on était sûr de me retrouver à huit heures du soir assise exactement au même endroit, la pile de livres à ma droite, seul signe de mon activité de la journée.
Je me souviens que, dans ma hâte de savoir ce qu’allait devenir Scarlett O’Hara, je me suis endormie au milieu de la nuit sur le canapé et sur le troisième tome d’Autant en Emporte le Vent, après avoir commencé le premier tome la veille ou le matin,
Je me souviens m’être endormie en pleurant sur la mort d’Albus Dumbledore à trois heures du matin, après avoir fait une heure de queue le matin même à la librairie pour me procurer le nouvel opus des aventure d’Harry Potter.
Je me souviens d’avoir embarqué l’intégrale des Misérables pour mon long périple en train à travers l’Italie et la Grèce, me disant qu’une lecture “barbante” (pardon pour les amateurs du genre) me durerait un peu plus longtemps (perdu… j’ai dû racheter des bouquins en route).
Je me souviens m’être envolée en solo pour la Russie avec deux jeans dans ma valise, et une seule paire de chaussures, le reste étant occupé par des livres (car à l’époque l’Ipad et la liseuse n’existaient pas).
Je me souviens que les livres ont offert à une enfant introvertie et solitaire, habituée à côtoyer des adultes (team enfant unique) et peu à l’aise avec ses pairs, ne sachant pas trop comment se faire des amis (pas faute de vouloir…), les amitiés les plus formidables, les savoirs les plus divers, les nourritures imaginaires les plus fantastiques.
Un livre pour avoir une raison de rester silencieuse, ne pas être maladroite, empruntée, ne pas paraître stupide ou importune.
Un livre pour voyager, pour avoir des ailes, pour connaître l’ailleurs et l’au-delà.
Un livre pour se ménager une bulle de silence, de sérénité, dans une journée trop pleine – de bruits, de paroles inutiles, de tensions…
Un livre pour partager, discuter, échanger aussi…
Un livre pour rire, pleurer, grandir, un livre pour se souvenir.
Aujourd’hui encore, aujourd’hui toujours, calez-moi dans un fauteuil ou sur un divan, jetez un plaid sur mes genoux, laissez quelques boules de poils bien-aimées venir se blottir près de moi… Donnez-moi un livre et une tasse de thé (ou de chocolat…), un biscuit ou deux… Rajoutez les êtres chers: ils parlent, bougent, regardent la télé, tricotent… je les entends, je les ressens, du fond de mon silence et de mon livre, je me recharge d’amour et de tendresse à leur contact.
Voilà ma recette du bonheur.
Que je te rejoins! Non que j’aie su lire aussi tôt, là je dois bien reconnaître que j’ai appris à l’école comme mes petits camarades. Mais élevée chez des grands-parents qui sitôt le déjeuner terminé se mettaient chacun dans leur fauteuil avec un livre, je suis tombée dedans aussi. J’ai ressenti le même sentiment d’injustice quand la dame de la bibliothèque, lorsque je lui ai demandé si je pouvais emprunter plus de trois livres à la fois pour éviter de revenir tous les jours, m’a sèchement répondu de commencer par lire ceux que j’empruntais. Je me souviens de ma mère me demandant de lâcher mon précieux roman pour aller “me bouger dehors”, je me souviens de Notre-Dame de Paris, commencé chez le dentiste (histoire de réunir les choses pénibles) et dévoré ensuite à la lampe de poche sous les couvertures pour ne pas me faire pincer par la lumière filtrant sous la porte, je me souviens de lignes qui commençaient à faire des vagues tant j’avais passé d’heures sans m’en rendre compte. Je ne compte plus les nuits trop courte à coups de “encore un chapitre”… Aujourd’hui encore, mon plus grand bonheur est de m’installer confortablement avec un livre et de le lire d’une traite.
Merci pour ta visite et pour ton ton message, chère Sylvie, je t’ai lue avec bonheur.
Les nuits trop courteS! Quelle horreur… Relis-toi Sylvie, relis-toi… Mea culpa Princesse pour cet abomiffreux zoubli.